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Quand le mur de séparation israélien ravage les oliviers de Crémisan

Chiara Cruciati
27 août 2015
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Quand le mur de séparation israélien ravage les oliviers de Crémisan
Un bulldozer israélien en action au milieu des champs d'oliviers de Cremisan, confisqués aux familles palestiniennes de Beit Jala.

Depuis le 17 août, les soldats israéliens déracinent des dizaines d'oliviers appartenant à des familles palestiniennes de Beit Jala, village situé à l'ouest de Bethléem, en Cisjordanie. A leur place et après une bataille juridique de neuf années, sera construit le mur de séparation. En effet le mois dernier, la Cour suprême israélienne a infirmé sa précédente décision de justice et donné le feu vert à la construction.


« Aujourd’hui est un triste jour, les travaux ont repris et déracinent les oliviers. Cette blessure, ce mur ne servira à personne. Et ce sont les familles, des gens ordinaires, qui se retrouvent aujourd’hui pour prier et demander cette justice que la Cour suprême d’Israël n’a pas été en mesure de rendre. Dans cette décision, il n’y a rien de démocratique« . La voix de Mario Abouna Cornioli, prêtre italien à Beit Jala, est couverte par le crissement du bras métallique des bulldozers militaires israéliens et le bruit des moteurs.

A quelques mètres à peine, l’armée israélienne, depuis le 17 août, les soldats israéliens déracinent des dizaines d’oliviers appartenant à des familles palestiniennes de Beit Jala, village situé à l’ouest de Bethléem, en Cisjordanie. A leur place et après une bataille juridique de neuf années, sera construit un mur de séparation. En effet le mois dernier, la Cour suprême israélienne a infirmé sa précédente décision de justice et donné le feu vert au ministère de la Défense.

« Il n’y a aucune raison de sécurité derrière la construction de ce mur dans la vallée de Crémisan, mais un accaparement des terres« , ajoute Abouna Mario. C’est pour cette raison, que les gens de Beit Jala, soutenus par les églises chrétiennes de la région, continuent de protester. Depuis la semaine dernière, dès l’arrivée des bulldozers dans la vallée de Bir ‘Ona, citoyens, familles et religieux se rassemblent sur ces terres pour protester et prier ensemble : mercredi et dimanche derniers, les prêtres ont célébré la messe sous le regard des soldats israéliens. Mais les soldats ne se sont pas contenter de regarder, aux protestations verbales des habitants de Beit Jala ils ont répondu par la force, frappant et arrêtant deux membres de comités populaires de Cisjordanie.

Mais ce que s’est-il passé ces derniers mois au tribunal pour en arriver là ? Pendant des années, Beit Jala avec le soutien du groupe des avocats israéliens de la Société Saint-Yves, a présenté d’innombrables appels aux tribunaux israéliens allant jusqu’à saisir la Cour suprême, pour exiger que le mur ne soit pas construit là où le tracé le prévoit. Selon le plan initial du gouvernement israélien, en effet, la barrière de béton qui entoure déjà les alentours de Bethléem séparant la ville de Jérusalem, devrait courir aux abords de la communauté palestinienne. Le résultat est clair : une partie de la vallée – couverte d’oliviers et de vignes – finira du côté israélien, pratiquement inaccessible aux 58 familles d’agriculteurs qui possèdent ces terres.

« L’objectif n’est en rien la garantie de la sécurité d’Israël – explique le jeune activiste palestinien George Abu Eid – mais la possession de la belle et fertile vallée de Cremisan afin de permettre l’expansion des deux colonies israéliennes qui l’entourent, Gilo et Har Gilo. Et ce sont les cartes du gouvernement israélien et ses plans d’expansion pour les deux colonies, déjà sur la table depuis des années, qui le prouvent« .

La menace qui pèse sur la vallée – elle est connue depuis le milieu des années 2000 – s’est formalisée en octobre 2010, lorsque la municipalité de Beit Jala s’est vue remettre par l’Administration Civile (l’agence israélienne qui gère les terres et les biens dans les territoires palestiniens occupés) deux mandats de confiscation de 52 dunums de terre (un dunum équivaut à mille mètres carrés). Cette « confiscation – ajoute Abu Eid – tourne en faveur de l’expansion des deux colonies et de la construction du mur dans notre vallée, le mur sera long de 11,7 km de long, 2,7 km ont déjà été construits. La Municipalité de Beit Jala a alors présenté un plan alternatif : pour sauver les terres de la propriété palestinienne, elle a demandé à ce qu’Israël construise le mur à la sortie des colonies et non à Beit Jala« .

Une proposition qui avait semblé emporter un vif succès puisque, le 2 avril, la Cour suprême avait imposé l’arrêt de la construction et demandé au Ministère de la Défense de trouver un tracé alternatif endommageant le moins possible le village de Beit Jala. « Comme cela est déjà arrivé dans des cas précédents, quelques temps après, le 7 août 2015, la Cour a annulé sa propre décision, acceptant de fait le l’ancien tracé et donnant l’aval à la construction du mur. Trois semaines plus tard bulldozers étaient ici et ont déraciné plus de 100 oliviers et nivelé le terrain« , dénonce l’activiste palestinien.

Beit Jala n’entend pas s’avouer vaincu : à travers la résistance non-violente et la participation des Eglises chrétiennes, la communauté en appelle à la communauté internationale pour stopper la construction du mur. « Nos avocats vont présenter une nouvelle pétition – conclut George – mais il est peu probable qu’elle soit acceptée. Ce qui nous reste à faire c’est d’attirer l’attention internationale : nous avons établi des contacts avec les églises, les associations, les organisations dans des dizaines de pays à travers le monde. Même le Vatican a exprimé son opposition au plan. Ce n’est seulement qu’avec le soutien de l’extérieur que nous pourrons sauver Beit Jala et la Vallée de Crémisan« .

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Des voix contre

(GS) – Il y a des voix qui n’affecteront probablement pas les autorités israéliennes, mais il est bon de savoir que ce qui se passe dans la vallée de Crémisan ne laisse pas indifférent. Certains ont mis sur papier leur dissidence. Nous tenons compte de certains des éléments récents.

Le 10 Juillet, les représentants diplomatiques de l’Union européenne à Jérusalem et à Ramallah ont publié une déclaration, ils : «expriment leur profonde déception et leur inquiétude à l’annonce de la décision de la Cour Suprême d’Israël du 6 juillet laquelle autoriser la construction d’une portion du Mur de Séparation dans la Vallée de Crémisan. Si la construction a lieu, cette barrière compliquera sérieusement l’accès de 58 familles à leurs terrains agricoles et affectera profondément leurs moyens de subsistance. Elle entraînera d’autres violations des terres palestiniennes dans la région de Bethléem, une région déjà sérieusement affectée par l’expansion des colonies, accentuant la pression sur les Palestiniens qui y vivent. Les missions (diplomatiques) de l’Union européenne à Jérusalem et à Ramallah rappellent que l’Union européenne souscrit à l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice (Juillet 2004) selon laquelle la construction de la barrière de séparation dans les territoires occupés est illégale ». Une expression également réitérée le 19 août, après que les bulldozers soient entrés en action à Crémisan.

Pour sa part, le Patriarcat latin de Jérusalem – qui depuis longtemps soutient les chrétiens de Beit Jala dans leur résistance – a exprimé, le 19 août, la ferme condamnation de l’action entreprise par les bulldozers israéliens à Crémisan, une opération qui, souligne, la curie patriarcale est « menée au mépris des droits des familles de la vallée ; droits que ces mêmes familles ont courageusement tenté de défendre devant la Loi ces dix dernières années. Il s’associe à la tristesse et à la frustration de ces familles opprimées, et dénonce avec force l’injustice qui leur est faite. La construction du Mur de séparation, et la confiscation des terres qu’elle implique, sont une insulte à la paix ».

Les mots qui font écho à ceux déjà écrits le 11 août par la Conférence épiscopale d’Afrique du Sud : « La construction de la barrière sur le territoire palestinien est vraisemblablement illégale en vertu du droit international ; elle met certainement plus d’obstacles sur la voie de la paix au Moyen-Orient et contribue à la poursuite de la déstabilisation jetée sur toute la région. Nous croyons que la paix peut être obtenue par la recherche de la justice pour tous. La séparation des peuples avec des murs et des barrières ne fait rien de plus qu’exacerber les divisions, elle ne contribue pas à la paix. Nous appelons tous les dirigeants de la Terre Sainte à travailler pour la paix et la justice, et à faire preuve de miséricorde et de compassion envers l’autre ».

Même son de cloches du côté de la Conférence des évêques catholiques des pays scandinaves (Danemark, Finlande, Norvège et Suède) qui, dans une brève déclaration en juillet, a fait part de sa profonde préoccupation aux diplomates de l’Union Européenne à Jérusalem et à Ramallah.

Le 20 août, Mgr. Patrick Powers, secrétaire général de la conférence des évêques canadiens, a publié une déclaration exprimant la déception des évêques du Canada vis-à-vis de « la récente décision des autorités israéliennes» et son «souci de l’impact négatif que cela aura sur les efforts en cours pour assurer la paix, la sécurité et la justice en Israël et en Palestine ».

Mgr Oscar Cantu, évêque de Las Cruces et président de la Commission justice et paix internationales des évêques américains, a investi de la question le secrétaire d’État, John Kerry, par une lettre envoyée le 24 août. Après que la presse ait rapporté le communiqué du Patriarcat latin de Jérusalem, Mgr. Cantu a demandé à John Kerry de « mettre la pression sur les autorités israéliennes pour qu’un terme soit mis aux travaux de construction, le tracé de ce mur confisque les terrains privés de familles palestiniennes de Cisjordanie. De telles actions minent la cause de la paix et compromettent la possibilité d’une solution à deux États ».  Les mots utilisés par Monseigneur Cantu, correspondent aux expressions souvent utilisées ces dernières années par le gouvernement américain pour dénoncer l’expansion des colonies israéliennes sur les terres palestiniennes. Des mots sans teneur car ils n’ont en rien enrayé les politiques de l’exécutif dirigé par le Premier ministre sortant Benjamin Netanyahu.

Du 11 à 16 septembre se réunira, pour la première fois en Terre Sainte, l’assemblée plénière annuelle du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe. Les présidents des Conférences épiscopales d’Europe seront très probablement informés des développements récents et exprimeront eux aussi leur réaction.