Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

 » De la stabilité et une direction pas seulement des déclarations sur du papier « 

Emilie Rey
7 juin 2014
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 » De la stabilité et une direction pas seulement des déclarations sur du papier « 
Jamil, 23 ans, se sent appelé par son pays : la Palestine

Jamil est passionné de chant. Il franchira bientôt le pas entre la pratique en amateur et le monde professionnel puisqu’il s’apprête à rejoindre, en tant que coordinateur de projets, l’École de musique de la Custodie de Terre Sainte où il l’espère, il poursuivra une longue carrière de chef de chœur. Portrait d’un jeune palestinien talentueux et décomplexé qui nourrit plein d’espoirs pour son pays.


Jamil est passionné de chant. Il franchira bientôt le pas entre la pratique en amateur et le monde professionnel puisqu’il s’apprête à rejoindre, en tant que coordinateur de projets, l’École de musique de la Custodie de Terre Sainte où il l’espère, il poursuivra une longue carrière de chef de chœur. Portrait d’un jeune palestinien talentueux et décomplexé qui nourrit plein d’espoirs pour son pays.

Jamil, qu’aimes-tu faire pendant ton temps libre ?

Depuis que j’ai 6 ans, j’étudie la musique, j’ai commencé avec le violon puis suis venu au piano. À cette époque, le Magnificat (Ecole de musique de la Custodie) était à ses débuts, ma mère en avait entendu parler et elle m’a inscrit. Je fais partie de la deuxième promotion de l’école ! Je dois beaucoup à Hania Soudah-Sabbara, la directrice du Magnificat, elle m’a beaucoup encouragé notamment lorsque j’ai intégré la chorale du Magnificat. Elle a été ma professeur et conduit la chorale de la Custodie où je chante au pupitre des ténors. Donc la musique prend une large place dans ma vie, aujourd’hui ce n’est plus seulement une passion, j’irais même jusqu’à dire que cela me définit. J’aime par exemple beaucoup plus les activités de chant en collectif – chorale ou quatre voix – car on progresse ensemble, on se transmet des compétences les uns les autres. J’ai beaucoup reçu au Magnificat et j’aime transmettre à mon tour. J’espère à l’automne prochain continuer mon apprentissage en participant à un stage de direction organisé par le Magnificat.

Qui sont tes amis ?

Je n’aime pas me définir par ma religion si c’est où vous voulez en venir ! J’ai de nombreuses fois changé d’écoles et de lieux de vie, j’ai donc des amis un peu partout en Palestine. Les plus intimes vivent quand même à Jérusalem et un seul est chrétien alors que je le suis moi-même ! Cela ne m’importe pas, cela n’a rien à faire avec la bonté ou les qualités d’un individu. Mes amis ne sont pas musiciens, pas du tout même ! Au début lors de mes premiers concerts, il me taquinait beaucoup, c’est un peu inhabituel pour un homme dans notre société d’aimer chanter du latin ou de l’italien encore plus religieux ! Heureusement je suis têtu (dit-il en souriant) et je n’ai pas cessé de partager ma passion pour la musique et le chant, avec le temps ils ont commencé à croire en mon rêve et à m’encourager. Il ne faut jamais abandonner ses rêves.

T’intéresses-tu à l’actualité ?

Alors déjà j’aimerais dire que près de 95% des palestiniens sont des « politiciens en herbe » ! Par force, j’ai baigné depuis mon plus jeune âge dans le fait politique. Je me tiens au courant de l’actualité, des avancées et reculées des négociations de paix, de la colonisation, de la situation à Gaza. Mais c’est finalement très frustrant, j’ai grandi dans un pays où l’on ne nous demande pas notre avis, nous la société civile. Qui plus est, les deux gouvernements, israélien et palestinien, disent faire des efforts mais ils passent leur temps à s’affronter, sans vous parler de la corruption qui règne. Je me trouve parfois en porte-à-faux avec mes amis car je trouve tout à fait normal d’inter agir et de coexister ensemble, encore plus quand on vient de Jérusalem. J’ai participé à des programmes du YMCA (Young Men’s Christian Association) où j’ai appris à connaître les musulmans et les juifs, à aborder les problématiques de cette terre, les enjeux…En somme à dialoguer avec les gens qui vivent sur la même terre que moi. Cela ne veut pas pour autant dire que j’accepte la situation, mon peuple souffre. La coexistence oui mais si elle apporte la paix et la stabilité.

Parle-nous de ta famille !

Je commencerais d’abord avec mon père car c’est lui qui m’a transmis son « virus » pour la musique. Il est aujourd’hui réalisateur de documentaires et caméraman mais dans les années 70, il jouait dans des groupes du rock, des Beatles en passant par Queen! Mais il a toujours été ouvert à tous les styles de musique, je me retrouve en lui, cette idée d’action permanente, chez nous on ne sait pas rester assis sans rien faire ! Ma mère est de Bethléem, tout comme mon père d’ailleurs, c’est une travailleuse sociale acharnée ! C’est mon rocher un peu comme le Christ qui a dit à Pierre « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église » ! Ma mère est la stabilité, mon père la créativité ! Malheureusement, mes parents se sont séparés lorsque j’étais adolescent mais leur relation est saine.  Avec mon petit frère et ma petite sœur, nous avons grandi avec ma mère. Sans surprise, tous les deux font eux aussi de la musique ! Ma petite sœur est douée, elle est au conservatoire en violon, je la soutiens du mieux que je peux, elle joue dans un orchestre qui rassemble des jeunes israéliens et palestiniens. En tant qu’aîné, je me sens investi pour leur futur. Vous savez, dans le monde arabe, nous avons encore un sens de la famille très développé ! Quand nous nous réunissons chez ma grand-mère, dans la maison familiale de Bethléem nous pouvons être des dizaines ! J’aime cet atmosphère, c’est chaleureux, il y de quoi manger sur des mètres et des mètres de table !

Quelle place prend la religion dans ta vie quotidienne ?

Je suis croyant, chrétien. Ma mère pourrait être définie comme une bouddhiste, passionnée par tout ce qui touche aux énergies et au Reiki.  Mon père, je ne suis pas sûr, mais je pense qu’il est athée, nous n’en avons jamais parlé ! Du côté paternel ma famille est grecque orthodoxe. Je porte d’ailleurs le nom de grand-père mais je n’ai jamais suivi le culte orthodoxe si ce n’est quelques dimanches où j’accompagnais ma grand-mère à la basilique de la Nativité à Bethléem. Je ne pense pas la religion soit quelque chose d’acquis que l’on reçoit à la naissance, c’est plus ce que l’on devient. Pour aujourd’hui, j’ai rejoint l’église catholique romaine, dans laquelle je me retrouve davantage. C’est peut-être lié à mon passé mais j’aime me définir comme chrétien, je ne vois pas le besoin de préciser autre chose. Je prie et vais de temps en temps à l’église mais surtout je chante dans la chorale paroissiale, c’est une chorale semi professionnelle que nous avons créée il y a deux ans. Nous animons les grandes fêtes et prochainement, nous serons au Saint Sépulcre pour la semaine sainte, c’est magnifique comme expérience ! J’aime cette phrase de saint Augustin : « Il prie deux fois, celui qui chante bien » !

Quels sont tes projets, sur le plan personnel et professionnel ?

Mon travail actuel en tant que rédacteur de projets à Ramallah est intéressant, j’apprends beaucoup mais le problème c’est de franchir le check point chaque jour. Quand on m’a offert l’opportunité de travailler à l’école de musique de la Custodie (Jamil a débuté en avril dernier) cela a été une grande joie ! Vraiment le Magnificat pense et investit dans le futur, les directeurs nous responsabilisent et placent le futur de cette école entre nos mains, c’est agréable. C’est pour cette raison que j’exclus toute idée d’émigration. Voyager pour me former et découvrir le monde avec plaisir mais toujours revenir. Je comprends ceux qui partent, j’en connais beaucoup mais la vie ce n’est pas seulement un meilleur travail ou une plus grande sécurité c’est aussi une identité. C’est un peu comme si cette Terre m’appelait. Mon identité c’est ce pays et malheureusement pour la conserver il nous faut nous battre. Pas violement, il y a mille et un moyens de résister pacifiquement. Je fais partie de ces gens qui ont décidé de rester et de vivre ; rien n’est facile dans la vie, nous grandissons avec cette idée.

Pour finir et en quelques mots, que souhaites-tu à ton pays ?

Quand je regarde les vieilles photos de mes grands parents, je ne comprends comment nous avons pu en arriver là. Il n’y avait pas d’extrémisme, les gens étaient plus libres, se respectaient…Je fais partie de la génération qui a vécu ou plutôt subi la violence.  Nous avons vu nos aînés se battre, moi-même je dois avouer : j’ai déjà rendu pierre pour pierre. Mais je sais maintenant qu’il existe d’autres options, ce que je désire c’est la stabilité et une direction pas seulement la reconnaissance de mon État, tout cela c’est encore des déclarations et du papier. Il y a 22 nations arabes, nous sommes arabes, nous parlons la même bien qu’étant différents. Quand je regarde votre Union Européenne, je me prends à rêver qu’un jour nous puissions arriver à une fédération unie.

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