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Société Saint-Yves: de la justice à la paix

Beatrice Guarrera
13 juin 2018
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Société Saint-Yves: de la justice à la paix
L'avocat Raffoul Rofa, directeur de Saint-Yves, parle au Centre Culturel Yabous de Jérusalem.

C'est la seule ONG catholique pour la protection juridique des citoyens palestiniens en Terre Sainte. La Société Saint-Yves travaille depuis 1991 à partir de ses deux bureaux de Jérusalem et de Bethléem.


Discrimination dans les soins de santé, absence de permis pour entrer en Israël, démolition de maisons et d’écoles, confiscations de terres : tels sont les problèmes des Palestiniens et des résidents à Jérusalem avec lesquels la Société Saint-Yves doit traiter tous les jours. Fondée en 1991, elle est la seule organisation catholique pour les droits de l’Homme en Terre Sainte. C’était le patriarche latin de l’époque, Mgr Michel Sabbah qui l’a voulue, à la suggestion de celle qui en fut par la suite la première directrice, Linda Brayer.

« Nous étions à la fin de la première Intifada et nous avions besoin d’organisations de défense des droits de l’Homme », explique l’actuel directeur, l’avocat Raffoul Rofa. Le premier cas géré par Saint-Yves a eu lieu en 1991 contre le ministère de la Défense israélien pour demander que des masques à gaz soient aussi distribués aux Palestiniens de  Cisjordanie, alors qu’on craignait une attaque chimique de l’Irak. La Cour suprême a accepté la pétition et a ordonné à l’armée de distribuer des masques à gaz. C’est à partir de ce moment-là que l’action de l’organisation a commencé, et qui depuis, fournit chaque année une assistance juridique à des milliers de personnes. Les soins de santé, la liberté de circulation, le paiement des impôts sans discrimination ne sont que quelques-uns des droits pour lesquels se bat la Société Saint-Yves. Aujourd’hui, elle  compte vingt-cinq employés, dont dix avocats, dans les deux bureaux de Jérusalem et de Bethléem. Parmi eux se trouvent des chrétiens catholiques et orthodoxes, des juifs et des musulmans, qui peuvent profiter chacun de congés liés à leurs fêtes religieuses respectives. L’organisation porte le nom de Saint Yves de Bretagne, un aristocrate du 13ème siècle, docteur en droit, célèbre défenseur des pauvres et considéré comme patron des avocats.

Raffoul Rofa poursuit : « Nous travaillons à Jérusalem-Est et dans la zone C (sous le contrôle total de l’administration militaire israélienne – ndlr) du sud de la Cisjordanie. À Jérusalem-Est, nous traitons de questions juridiques liées à la résidence des Palestiniens et au regroupement familial ». Après la Guerre des Six Jours (1967), Israël a accordé aux Palestiniens de Jérusalem le statut de « résident permanent », mais une loi publiée plus tard stipule que le Palestinien qui a quitté Jérusalem pendant sept ans (pas forcément de manière continue) ou qui a acquis une autre nationalité par naturalisation peut se voir révoqué son statut de résident.

Le directeur de la Société Saint-Yves affirme que « de 1967 à aujourd’hui, quinze mille Palestiniens ont perdu leur droit de vivre à Jérusalem ».

Rien qu’entre le 11 avril 2017 et le 24 mai 2018, l’organisation catholique des droits de l’Homme a clôturé 4 838 dossiers sur les 5 141 gérés : nous parlons de conseils, de services juridiques, d’activités de sensibilisation et de cas d’intérêt public.

Travailler parmi la population

« Nous travaillons dans la rue, au contact des gens – explique fièrement Maître Rofa -. Parfois, ils  nous appellent directement ; à d’autres moments, c’est nous qui nous déplaçons pour des sessions de sensibilisation. Une grande partie de notre mission consiste à informer la population de ses droits. En outre, nous sollicitons également les soutiens internationaux ».

Un grand nombre des activités de la Société Saint-Yves ont trait à la discrimination, comme celle des paiements de l’assurance maladie publique aux Palestiniens de Jérusalem. En fait, il n’y a pas si longtemps, l’État d’Israël, par l’intermédiaire du Ministère de la Santé, a décidé d’accorder une assurance santé publique aux Palestiniens qui ont des permis de regroupement familial avec le statut de résidents permanents à Jérusalem. « Ce fut une excellente décision car ces personnes ont besoin de soins médicaux adéquats », explique Raffoul Rofa. Le problème est qu’il y a eu de la discrimination dans les paiements ». Les Palestiniens mariés à des citoyens israéliens doivent payer une première prime d’environ 1 700 shekels (un peu plus de 400 euros) et ensuite environ 500 shekels (118 euros) par mois. Inversement, les Palestiniens mariés à des résidents permanents devraient payer une première somme de 8 000 shekels (près de 1 900 euros) et ensuite 500 shekels mensuellement. Plusieurs fois sollicitée sur cette question, la société Saint-Yves a rapidement réagi : « Nous avons signalé le problème au Ministère de la Santé qui nous a dit que tout était « conforme à la loi ». Nous avons alors porté l’affaire devant la Cour suprême contre le ministère de la Santé et l’organisme qui fournit des services pour eux. En mars, la Cour suprême a décidé que le Ministère de la Santé devrait créer un comité pour étudier en profondeur notre requête. Nous verrons comment cela se passera dans les prochains mois. Le sujet concerne des milliers de personnes ».

Le coup dur de Crémisan

L’une des histoires les plus connues de la Société Saint-Yves est l’affaire Crémisan. Les protestations et les actions en justice menées entre 2004 et 2015 pour empêcher la construction du mur de séparation dans la vallée de Crémisan près de Bethléem n’ont pas atteint l’objectif souhaité. À ce jour, le mur a été construit, tout en prévoyant une ouverture de 225 mètres dans le mur afin de relier le couvent et le monastère et de faciliter l’accès aux communautés desservies.

L’espace peut être fermé à tout moment. « Les propriétaires de terrains privés, d’autre part, n’ont pas eu cette chance. Leurs terres sont derrière le mur et ne peuvent être accessibles qu’à travers une « porte agricole » – explique Raffoul Rofa. C’est un accès construit sur le mur, qui ne peut être ouvert qu’à une certaine période de l’année, au moment de la récolte, et sous la condition d’en avoir la permission. C’est une grande injustice ».

Ennemis de personne

Dans la zone C de la Cisjordanie, la Société Saint-Yves travaille souvent à empêcher la démolition des bâtiments, comme le dit son directeur : « D’habitude, nous nous opposons au travers d’une action urgente. Je me souviens du cas d’une école à l’est de Bethléem, par exemple. Elle était proche d’une colonie et on lui a déclaré que les permis n’étaient pas en règle. Elle fut donc démolie. L’Autorité palestinienne l’a reconstruite et est venue demander notre assistance juridique. Ils sont venus le samedi et notre avocat a immédiatement préparé la pétition et l’a présentée à la Cour suprême. Cette école est toujours là. »

Les Palestiniens de Cisjordanie demandent également une assistance juridique en ce qui concerne les permis de circulation lorsqu’ils sont refusés. Souvent, les motivations fournies concernent la « sécurité ». Il appartient ensuite à la Société Saint-Yves d’essayer de comprendre les vraies raisons : ce peut être par homonymie avec des personnes considérées comme dangereuses ; ce peut être lié au fait que des membres de leur famille soient impliqués dans des problèmes judiciaires ou lié au fait que ces personnes aient participé à des manifestations de protestation.

A travers le travail des avocats, nous essayons également de dénoncer les « punitions collectives », comme dans le cas des attaques contre les soldats israéliens. Chaque fois qu’ils surviennent, la police force la fermeture des magasins et des rues ou demande aux personnes de rentrer chez elles. « Nous condamnons chaque acte de violence. Si quelqu’un fait une erreur, nous croyons qu’il doit être puni, mais personnellement, et non pas toute la communauté », souligne l’avocat Rofa. Dans ces cas, l’action menée par l’organisation consiste à écrire des lettres à la police, puis à compiler des rapports pour informer de l’incident.

« Nous croyons que notre travail contribue à la paix et nous ne le faisons pas parce que nous détestons quelqu’un – explique le directeur de la Société Saint-Yves -. Nous ne haïssons personne, mais nous sommes ici pour aider les pauvres et les opprimés, comme nous l’a dit Mgr Sabbah au moment de la fondation. C’est notre mission ».