Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

L’avant-dernier manuscrit de Qumran déroule ses secrets

Christophe Lafontaine
23 janvier 2018
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
L’avant-dernier manuscrit de Qumran déroule ses secrets
La découverte des rouleaux de manuscrits près des ruines de Qumran a eu lieu dans douze grottes situées au surplomb de la mer Morte. ©Franco56 / Wikimedia Commons

Deux universitaires de Haïfa (Israël) ont reconstitué avec succès le contenu de l'un des deux derniers rouleaux de la mer Morte révélant un calendrier utilisé par les Esséniens pendant la période du Second Temple.


« Ils ont tout assemblé et sont arrivés à la conclusion qu’il s’agissait du même rouleau ». Ilan Yavelberg, un porte-parole de l’université de Haïfa, a expliqué par ces termes à l’AFP que jusqu’ici, plus de 60 minuscules segments de parchemin (parfois inférieurs à un centimètre carré), découverts à Qumran (Cisjordanie), n’avaient pas été joints entre eux. Tout simplement parce qu’un chercheur dans le passé avait établi un postulat selon lequel  ils provenaient de plusieurs parchemins différents. Mais après plus d’une année de travail et d’examen minutieux, Eshbal Ratson et Jonathan Ben-Dov, membres du département d’études bibliques de l’université de Haïfa, ont découvert que tous ces fragments étaient liés, a expliqué le porte-parole de l’établissement universitaire. Et qu’ils pouvaient être réunis formant ipso facto un seul et unique rouleau.

Ainsi s’agit-il de l’un des deux derniers rouleaux retrouvés dans les grottes de Qumram encore non lus et portant des inscriptions cryptées en hébreu. «Très peu de parchemins qui ont été déchiffrés auparavant ont été écrits dans ce langage », a indiqué au journal Haaretz Eshbal Ratson. A noter que la plupart des manuscrits de la mer Morte ont déjà été restaurés et publiés.

Les deux universitaires ont pu déchiffrer le code du rouleau par des annotations et commentaires découverts dans les marges par un scribe corrigeant les omissions faites par l’auteur initial. « Ce qui est bien, c’est que ces commentaires étaient des indices qui m’ont aidé à comprendre le puzzle – ils m’ont montré comment assembler le parchemin », a déclaré Eshbal Ratson au quotidien israélien.

Les documents les plus anciens remontent au IIIème siècle avant Jésus-Christ et le plus récent a été rédigé en l’an 70, au moment de la destruction du Second Temple juif par les légions romaines.
Beaucoup de spécialistes pensent que les manuscrits de la mer Morte  ont été écrits par les Esséniens, un mouvement de juifs ascètes qui s’étaient réfugiés dans le désert de Judée vers les grottes de Qumran, au-dessus de la mer Morte. Ambitionnant de revenir à un judaïsme plus authentique. « La secte de Qumran qui se définissait elle-même sous le nom de Yahad («Ensemble») était un groupe radical qui suivait  un mode de vie ermite dans le désert, confronté à la persécution par l’establishment dominant de l’époque », explique un communiqué de l’université de Haïfa, publié le dimanche 21 janvier 2017.

Un calendrier parfait

Preuve de l’identité singulière de ce groupe d’ermites, le rouleau restauré contient des références au calendrier de 364 jours (presque calqué sur le calendrier solaire), déjà connu par les chercheurs pour avoir été utilisé par les Esséniens, par opposition au calendrier lunaire suivi dans la pratique religieuse juive de l’époque et encore d’aujourd’hui. D’ailleurs, selon les scientifiques de l’université, « le calendrier a été impliqué dans l’un des débats les plus féroces entre différents groupes à la fin de la période du Second Temple», indique le communiqué de l’université du Nord d’Israël.

De fait, le parchemin calendaire présente « une particularité importante », a déclaré l’université dans son communiqué.  « Le calendrier lunaire, que le judaïsme suit à ce jour, nécessite un grand nombre de décisions humaines. Les gens doivent regarder les étoiles et la lune et rendre compte de leurs observations, et quelqu’un doit être habilité à décider du nouveau mois et de l’application des années bissextiles. » A contrario les chercheurs ont décrit le calendrier de 364 jours comme « parfait ». « Parce que ce nombre peut être divisé en quatre et sept, les occasions spéciales (ndlr : les jours de fêtes) tombant toujours le même jour », ont-ils mis en exergue dans leur communiqué. « Cela évite de devoir décider, par exemple, de ce qui arrive quand une occasion particulière tombe le jour du shabbat, comme cela arrive souvent dans le calendrier lunaire. Le calendrier de Qumran est immuable et il semble avoir incarné les croyances des membres de cette communauté concernant la perfection et la sainteté. » En bref : chaque fête a donc une date fixe et aucune fête ne tombe sur Shabbat.

Le rouleau révèle également pour la première fois le nom qui fut donné par les Esséniens aux jours marquant les transitions entre quatre saisons. Le calendrier ajoutant une journée spéciale pour chaque changement. C’est le mot « tekufah », qui en hébreu moderne signifie « période », qui est donc employé. Un terme qui sera utilisé dans la littérature rabbinique ultérieure et qu’on peut retrouver sur des mosaïques de l’époque talmudique (IIème – Vème siècle après J.-C.).

Fête du vin nouveau et de la nouvelle huile

En outre, indique le communiqué de l’université de Haïfa, le rouleau décrit deux occasions spéciales (non mentionnées dans la Bible), mais qui sont déjà connues du « Rouleau du Temple de Qumran » : les fêtes du vin nouveau et de la nouvelle huile. Ces fêtes – disparues –  constituaient une extension de la fête de Shavouot qui célèbre le blé nouveau. « Selon ce calendrier, la fête du blé Nouveau tombe 50 jours après le premier Shabbat suivant la Pâque; la fête du vin nouveau arrive 50 jours plus tard; et après un nouvel intervalle de 50 jours, la fête de la Nouvelle Huile est célébrée. », explicitent les chercheurs.

Le rouleau mentionne également un certain nombre de mots et d’expressions qui apparaîtront plus tard dans la Mishna qui est la compilation écrite des lois orales juives, et considéré comme le premier ouvrage de littérature rabbinique. « Cela montre une fois de plus que plusieurs des sujets discutés par les scribes plusieurs siècles plus tard avaient des origines antérieures à la période du Second Temple » concluent les universitaires.

Sur 900 rouleaux, il n’en reste qu’un seul à déchiffrer

Ces récentes conclusions font partie d’une étude financée par la National Science Foundation (ISF) et qui a été récemment publiée dans le dernier numéro du Journal of Biblical Literature (Vol. 136, No. 4 (Winter 2017), pp. 905-936).

Selon le communiqué de l’université de Haïfa, les deux chercheurs Eshbal Ratson et Jonathan Ben-Dov travaillent actuellement pour déchiffrer le second manuscrit encore non lu. C’est le dernier de l’une des plus importantes découvertes archéologiques de tous les temps faite par des bédouins entre 1947 et 1956 dans des grottes nichées à l’à-pic des falaises de la mer Morte. Une douzième grotte – en grande partie pillée – a été découverte en 2017. Une équipe d’archéologues américains (de l’Université Liberty de Lynchburg, en Virginie) devrait publier prochainement les résultats de leurs recherches entamées dans la grotte en décembre dernier.

Les 900 manuscrits de la mer Morte comprennent des textes d’inspiration religieuse en hébreu, en araméen et en grec, ainsi que le plus vieil Ancien Testament connu.  On peut les classer en trois catégories : les livres bibliques, reproduisant des parties connues de l’Ancien Testament ; les apocryphes, rédigés sur le modèle des livres bibliques, mais exclus des recensions officielles des orthodoxies ; enfin, les pseudépigraphes, ensemble de textes relatant des événements, des pratiques religieuses ou des conceptions ignorés jusqu’ici.