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Palestine, la grève de la faim comme moyen de protestation

Chiara Cruciati
12 mai 2017
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Palestine, la grève de la faim comme moyen de protestation
Manifestations, le 27 avril à Jérusalem, en faveur des prisonniers palestiniens en grève de la faim. ©Sliman Khader /Flash90

La grève de la faim, forme historique de protestation des prisonniers politiques palestiniens dans les prisons israéliennes, redevient un instrument de lutte politique.


Retour à la bataille des estomacs vides, forme historique de protestation des prisonniers politiques palestiniens, à nouveau choisie aujourd’hui comme outil de mobilisation de masse. Si depuis les années qui ont suivi l’occupation de 1967, les détenus palestiniens se sont organisés dans les prisons pour exiger l’amélioration des conditions de vie, mais aussi pour cimenter la société extérieure, la défaite du mouvement des prisonniers marquée par la signature des accords de 1993 avait conduit à une impasse.

Aujourd’hui, 1 500 prisonniers relèvent le défi. Derrière leurs demandes, il y a beaucoup de messages dont les destinataires sont variés : avec la grève de la faim Liberté et Dignité, lancée par le chef du Fatah emprisonné, Marwan Barghouti, le 17 avril (depuis 1974, par décision de l’OLP, la Journée des prisonniers), les prisonniers se tournent vers Israël, le peuple palestinien et son Autorité Nationale.

Tout d’abord, ils demandent le respect des droits derrière les barreaux, la fin de la pratique de l’isolement comme une forme punitive, l’accès aux soins médicaux et le droit aux visites des représentants légaux et des familles, la fin de l’utilisation systématique et généralisée de la rétention administrative et de la torture. Ils demandent à la société palestinienne de se rallier à un mouvement considéré depuis toujours comme la colonne vertébrale de la lutte pour la libération, capable de mobiliser et d’unifier les différentes consciences palestiniennes. Ils réclament à l’ANP (Autorité Nationale Palestinienne) de faire de la question des prisonniers une priorité dans les négociations.

Il y en a qui l’expliquent comme une rivalité interne, entre la base et les dirigeants du Fatah, qui pour leur part considèrent cela comme un cadeau fait à Israël, un moyen d’amoindrir la force de la manifestation. Etant donné le calibre de Barghouti, il y a un problème interne concernant le manque de leadership à long terme de la stratégie politique des Territoires occupés.

Les prisonniers essaient de jeûner depuis le 17 avril, et ont réussi à mobiliser un nombre croissant d’adhésions (même dans les rangs du Hamas et du Front populaire pour la libération de la Palestine, mais sur décision individuelle). Ce n’est pas tant le nombre de manifestants qui compte par rapport au passé mais plutôt le nombre d’initiatives et de sit-in qui rend persévérants les protagonistes, tant à Gaza qu’en Cisjordanie. Jeudi 27 avril, une grève générale a été lancée dans tous les territoires en solidarité avec la grève de la faim des prisonniers : des milliers de magasins, écoles et banques fermés, les volets clos et les rues pratiquement vides dans les grandes villes comme dans les villages et les camps de réfugiés. Vendredi (28 avril), le Fatah lui-même a baptisé cette journée comme « jour de la colère ».

Israël répond. Après avoir refusé de passer un accord avec les prisonniers, Israël a réagi dans les prisons avec un resserrement des mesures punitives : isolement pour les prisonniers en grève, raids dans les cellules, perquisitions et saisies de livres et d’effets personnels, transferts d’une prison à une autre. Il est prévu que soit refusé de remettre en cause le système judiciaire appliqué aux résidents des Territoires, soumis au droit militaire et non civil. Et les différences de traitement sont flagrantes : si un Palestinien est jugé par les tribunaux militaires, il peut être détenu sans accusations officielles pendant 90 jours (extensible à 90 autres) et sans voir d’avocat pendant trois mois ; lorsqu’un israélien est jugé par des tribunaux civils, il peut être détenu sans accusation officielle jusqu’à 30 jours maximum et doit consulter un avocat dans les 21 jours.

Et les prisonniers sont en grève de la faim pour changer, autant que possible, la vie en prison. Dans ce contexte, les victoires marquées dans le passé par le mouvement des prisonniers, ont connu diverses phases. A partir de 1974, les grèves de masse ont reflété l’histoire du mouvement de libération à l’extérieur. « Si juste après 1967, il a fallu un certain temps pour que les prisonniers puissent s’organiser – explique le chercheur et ancien prisonnier politique, Murad Jadallah – au début des années 70, une nouvelle prise de conscience est née : on ne demande plus seulement un emprisonnement plus “humain” mais on fait un pas politique. Autrement dit, le respect des droits en tant que prisonniers politiques ».

Avec l’augmentation du nombre de prisonniers, au fil du temps, le mouvement change : dans les premières années il s’agissait de prisonniers de la diaspora, c’est-à-dire les combattants des frontières, en Syrie et au Liban, mais aussi des paysans et des travailleurs illettrés. A ces derniers, on apprend à lire, on leur donne une formation politique ; avec les premiers des liens avec l’extérieur s’instaurent. « Le véritable tournant a été l’augmentation du nombre de prisonniers résidant dans les frontières de la Palestine historique. C’est alors que s’est définie une véritable stratégie et que la grève de la faim est devenue le principal instrument de lutte. C’est aussi à cette période-là, au tournant des années 60 et 70, qu’on enregistre les premiers décès pour cause d’alimentation forcée de la part des autorités pénitentiaires ».

Avec Oslo le mouvement s’effondre. Coupés de l’entente conclue entre l’OLP et Israël en 1993, les prisonniers (aux « traditionnels » ont été ajoutés en attendant les premiers détenus du Hamas) se sentent abandonnés et ils voient – peut-être avant les autres – les erreurs fatales commises par la direction palestinienne. « L’ANP est née, instaurant avec le mouvement des prisonniers une relation tout à fait différente, presque le welfare. Il garantit aux familles les salaires, mais ne parle pas de négocier leur libération ».

La crise est rude et dure depuis des années, celles de la deuxième Intifada (2000-2004) et les suivantes lorsqu’apparaissent pour la première fois, les grèves de la faim individuelles. « Il s’agit de prisonniers seuls – conclut Jadallah – qui combattent contre la détention administrative, mais cela ne concerne pas le reste du mouvement : le jeûne perd sa nature politique et collective. »