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« La guerre met en fuite les Chrétiens. L’Occident doit arrêter de l’alimenter »

Carlo Giorgi
26 novembre 2014
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« La guerre met en fuite les Chrétiens. L’Occident doit arrêter de l’alimenter »
Le patriarche maronite Bechara Boutros Rai.

« Je pense que le Pape François, à Istanbul, invitera la Turquie à collaborer afin de mettre fin à la guerre. Mais il n'y aura pas de paix au Moyen-Orient tant que l'Occident vendra des armes aux belligérants, le conflit israélo-palestinien restera non résolu et dans tous les pays, y compris Israël, il n’y aura plus de nette séparation entre la religion et l'Etat ». Dans une interview à Terrasanta.net, le cardinal Bechara Boutros Rai, patriarche des maronites, parle d’une paix encore possible et de la crise que vivent les chrétiens au Moyen-Orient.


« Je pense que le Pape François, à Istanbul, lancera un appel clair en faveur de la paix au Moyen-Orient. Je pense qu’il invitera en particulier la Turquie à collaborer afin de mettre fin à la guerre en Syrie. À l’heure actuelle, en effet, la Turquie permet le passage de son territoire vers la Syrie à des mercenaires et fondamentalistes islamiques. Cela fait plus de deux ans que les évêques grec- orthodoxe et syriaque orthodoxe d’Alep ont été enlevés à la frontière entre la Turquie et la Syrie…Nous avons besoin que la Turquie coopère et commence à jouer un autre rôle ».

Le cardinal Béchara Boutros Rai, patriarche des maronites, place beaucoup d’espoir dans le voyage du pape François en Turquie qui se déroulera du 28 au 30 novembre. Le patriarche a inauguré le 23 novembre dernier, la paroisse Santa Maria della Sanità à Milan, un lieu de culte pour les catholiques maronites de rite oriental qui vivent dans le diocèse ambrosien. A cette occasion, il a donné cette interview à Terrasanta.net.

La présence d’une paroisse maronite, à Milan, est un enrichissement pour les catholiques locaux. Mais elle est aussi le signe de l’émigration et de la crise dans laquelle se trouve plongé le Liban aujourd’hui…

Le pays traverse une très grave crise. Il y a longtemps le Liban était considéré comme la Suisse du Moyen-Orient. En 1975, au début de la guerre civile, un dollar s’échangeait contre deux livres libanaises. Aujourd’hui, il en faut 1500… Depuis 1948, nous portons sur nos épaules le poids d’un demi-million de réfugiés palestiniens; la guerre en Syrie nous a apporté un demi-million de Syriens; sans parler des milliers de chrétiens en Irak … le total des réfugiés est maintenant égal à la moitié de la population libanaise. Pour vous donner un exemple: le nombre seul des étudiants syriens, 600 000, est supérieur à celui des étudiants libanais. Où est ce que nous les mettons? Les structures font défaut. Tout cela se transforme en problème social, économique, politique et sécuritaire. Selon les estimations de l’ONU, un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Une situation qui encourage l’émigration.

C’est ainsi. Je visite régulièrement les diocèses libanais à l’étranger. L’année dernière, par exemple, je suis allé dans sept pays d’Amérique latine. J’ai trouvé tant de jeunes libanais. Je me demandais : mais qui est resté au Liban?  Ils sont tous ici! Nous avons des pays qui se vident, un flux migratoire énorme. C’est terrible! Ils ne peuvent pas rentrer, désormais ils ont leur travail et leurs enfants ici. Et qui quitte la région voit que les problèmes du Moyen-Orient ne se résolvent. Et ce parce que personne ne veut résoudre le premier problème, celui que nous pourrions définir théologiquement de «péché originel» à la crise au Moyen-Orient.

C’est à dire ?

Je fais référence au conflit israélo-palestinien, il est tel un grand four qui propage le feu de la guerre. Tant que le problème palestinien ne sera pas résolu, en permettant par exemple le retour des réfugiés, le Moyen-Orient sera en guerre. Maintenant c’est au tour de l’Irak et de la Syrie; demain ce sera un autre pays…et puis un quatrième…le problème c’est qu’il y a derrière des intérêts économiques qui prévalent: le pétrole, le gaz, le commerce des armes.

Que peut faire l’Europe pour arrêter la guerre ?

Elle doit aider à la réconciliation en particulier entre sunnites et chiites car, aujourd’hui, la guerre règne avant tout dans le monde musulman. Ensuite, elle doit aider l’islam – mais aussi le judaïsme – car tant qu’il n’y aura pas de distinction entre la religion et l’Etat au Moyen-Orient, la paix sera loin. Enfin elle doit cesser de vendre des armes au Moyen-Orient et de financer les fondamentalistes. Le pape François qui parle d’une manière directe, a dit –  se référant à la guerre en Syrie – « Il faut que le commerce des armes cesse ! ». Nous, chrétiens du Moyen-Orient, en 1400 ans de vie commune avec les musulmans, avons transmis des valeurs à même de faire croitre la modération. L’Occident, en envoyant des armes et de l’argent, a détruit ce que nous avions construit, nous, chrétiens, en quatorze siècles d’histoire. En agissant ainsi vous  alimentez le fondamentalisme: mais quand le terrorisme se déchaîne, qui peut l’arrêter?

Qui paie les conséquences de cette situation ?

Les chrétiens du Moyen-Orient. En Irak, nous avons perdu un million de chrétiens, le prix d’une démocratie qui n’a jamais vu le jour… leur fuite signifie la disparition de l’ensemble de la culture chrétienne, l’histoire du salut de l’humanité. On ne peut pas sacrifier les chrétiens du Moyen-Orient! Nous voulons rester sur notre terre, nous voulons porter les valeurs chrétiennes à ce monde arabe. Maintenant plus que jamais, le Moyen-Orient a besoin des chrétiens parce qu’ils tiennent un autre langage que celui répandu aujourd’hui. Dans nos pays, on nous parle de guerre, de terrorisme, de tuer, de détruire; notre langue est celle de l’Evangile de la paix, de la fraternité, de la dignité humaine, du caractère sacré de la vie. Il me semble que l’Europe n’a pas pris conscience de cela, en fait, il semble que vous en ayez honte…